Bourses européennes : comment éviter des krachs en chaîne ?
Publié le 19/11/2024
Bourses européennes : comment éviter des krachs en chaîne ?
Publié le 19/11/2024
L’existence de l’euro et une politique monétaire commune sont des atouts pour l’Europe. Mais ils créent un risque accru de krachs boursiers en cascade si les banques accordent trop de prêts en période de faibles taux d’intérêt. C’est ce que démontrent trois chercheurs, dont Messaoud Chibane et Gabriel Giménez-Roche, de NEOMA.
L’enfer est pavé de bonnes intentions. Quand une Banque centrale prend des mesures de politique monétaire, par exemple en baissant les taux d’intérêt, elle veut relancer la croissance, améliorer la solvabilité des banques et fluidifier les marchés boursiers. Mais ce schéma vertueux peut déraper, enclencher une cascade de conséquences, jusqu’à la « bulle » financière, voire au krach.
Pire : dans des pays dont les économies et les systèmes financiers sont très imbriqués, des effondrements boursiers en chaîne sont possibles.
C’est ce scénario que les auteurs de l’étude ont analysé, sur la période 2002 – 2022, pour les cinq économies les plus florissantes de la zone euro : Allemagne, France, Italie, Espagne et Pays-Bas. À cette fin, ils ont conçu deux modèles de processus de krach boursier pour mettre en évidence leurs facteurs déterminants.
Leurs conclusions s’adressent aux autorités monétaires soucieuses de doser au mieux leurs interventions. Elles éclaireront aussi les grands investisseurs internationaux dans leurs choix de placements : en cas d’effondrements en chaîne, les portefeuilles bien diversifiés sont également exposés.
Les auteurs rappellent d’abord l’efficacité avérée des politiques monétaires pour inverser des cycles économiques défavorables. Lors de la crise financière de 2007 ou de la pandémie de Covid, la baisse des taux d’intérêt et l’injection de liquidités ont contribué à soutenir les Bourses et le système bancaire. Les deux modèles conçus pour l’étude le confirment.
Mais ces interventions modifient des variables clés. Le niveau des taux d’intérêt et des capitaux disponibles ne reflète plus le point d’équilibre entre épargne et investissement : il est biaisé par les décisions des autorités monétaires, qui cherchent par exemple à juguler l’inflation, à relancer la croissance ou à soutenir l’emploi.
Or, pour les banques et les investisseurs, taux d’intérêt et disponibilité des capitaux restent les critères de référence au moment de prêter ou d’emprunter. Si une Banque centrale met en place un contexte d’« argent facile », ils auront donc davantage recours au crédit. Ce qui crée un écart croissant entre monnaie émise et masse monétaire totale, avec un risque lui aussi croissant de krach boursier.
Un autre phénomène aggrave la situation, celui de « malinvestissement ». Avec l’accès aisé au crédit, les banques acceptent de financer davantage de projets de longue durée à fort niveau de risque, au détriment d’autres plus courts et plus sûrs. Quant aux entreprises, elles effectuent des opérations de rachat d’actions, au lieu de développer leurs capacités de production pour dégager davantage de profits. De manière plus générale, le crédit bancaire est moins guidé par les fondamentaux économiques : risque, durée et rentabilité. Ce qui accroît la probabilité à terme de krachs boursiers.
Dans l’Union européenne, ce risque est systémique. Car les capitaux circulent librement, et les réglementations financières sont largement harmonisées d’un pays à l’autre. Les nations les plus puissantes – Allemagne, France, Italie, Espagne et Pays-Bas – utilisent la même monnaie et sont soumises à la politique de la Banque centrale européenne. Quant à leurs Bourses nationales, elles partagent les mêmes informations et réagissent de manière synchronisée aux grands événements nationaux et internationaux, même si ce niveau de synchronisation fluctue au fil du temps.
Les modèles développés par les chercheurs pour la période 2002 – 2022 confirment ces constats. Ils montrent que la hausse du volume de crédits bancaires et le recours accru des entreprises au crédit accentuent le risque de krach. De même, plus l’écart de rendement se creuse entre les obligations les plus sûres (émises par les États) et les plus risquées (celles des entreprises), plus ce risque devient élevé.
Autre phénomène : plus la probabilité de krach augmente, plus les mouvements de Bourse des cinq pays étudiés se synchronisent, à la hausse comme à la baisse. Autrement dit, l’investisseur qui a pris soin de diversifier ses placements ne réduit pas son niveau de risque pour autant. Cette synchronisation est particulièrement marquée entre la Bourse de Francfort et celles de Paris et d’Amsterdam.
Les mesures de politique monétaire sont donc des armes à double tranchant. Certes, elles contribuent à stabiliser les économies et les marchés financiers quand la conjoncture se détériore. Mais si les banques utilisent cet afflux de liquidités pour accroître sensiblement leur activité de crédit, le risque d’effondrement boursier augmente et, en Europe, peut toucher simultanément plusieurs États.
Les investisseurs internationaux veilleront donc à ne pas s’engager dans des stratégies de diversification potentiellement inopérantes. Quant aux autorités monétaires, elles doivent peser soigneusement les conséquences de leurs interventions. Les auteurs leur suggèrent de mettre en place un outil d’évaluation de la probabilité de krach ; au-delà d’un certain seuil, les activités de crédit bancaire seraient fortement contrôlées, voire régies par une réglementation spécifique.
Chibane, A. Gabriel & G. A. Giménez Roche, The Impact of Bank Money on Stock Market Integration: Evidence from the Eurozone, The European Journal of Finance, mai 2024 – doi.org/10.1080/1351847X.2024.2355104