Bien-être au travail : l’ordre des tâches journalières, un critère qui compte
Commencer ses journées de travail par les tâches les plus pénibles plutôt que par les plus faciles, et passer plus tard à celles-ci, a un effet positif sur la qualité de vie au travail des salariés et sur leur niveau d’engagement. C’est la conclusion de l’étude menée par six chercheurs, dont Zhaodong (Alan) Qiu, de NEOMA. Ils conseillent aux managers de sensibiliser leurs collaborateurs à cet enjeu et de leur laisser des marges de liberté dans l’organisation de leur temps.
Comment peut-on améliorer le bien-être au travail et la performance des salariés en jouant sur les tâches qu’on leur confie ? Ces dernières années, de nombreux chercheurs ont suggéré des solutions : diversifier ces tâches, soigner le dosage entre celles qui impliquent peu et beaucoup de pression, alterner des tâches intéressantes et d’autres plus routinières…
Mais cette adaptation est impossible dans les métiers où le contenu du poste, les clients ou les délais imposent un cadre strict. Et là où cette flexibilité existe, c’est l’ampleur du chantier qui refroidit les ardeurs : quelle entreprise aurait envie de repenser en profondeur les activités de ses salariés, pour des gains aléatoires et difficiles à quantifier ?
Des salariés moins fatigués et plus détendus en fin de journée
La récente étude publiée par les six chercheurs propose une solution différente : jouer sur l’ordre dans lequel les salariés effectuent leurs tâches du jour. Un peu comme si on améliorait la productivité d’une usine, juste en modifiant l’emplacement des machines… À l’appui de leur thèse, ils présentent les expériences de terrain menées avec 392 salariés, dans deux entreprises chinoises dont les collaborateurs peuvent ajuster leur organisation personnelle.
Principal enseignement : ceux qui commencent leur journée par les tâches les plus ardues (qui imposent le plus d’efforts) et poursuivent avec d’autres de difficulté décroissante se sentent moins fatigués et plus détendus le soir. En outre, ils sont plus enclins à s’investir au-delà de leur rôle, pour aider des collègues, suggérer des améliorations ou imaginer de nouvelles stratégies.
Développer une pédagogie du séquencement des tâches
Les chercheurs constatent aussi qu’avec cette stratégie du « plus difficile en premier », les salariés qui, par tempérament, aiment se mettre à l’ouvrage tôt et anticiper les délais ont le sentiment de mieux progresser dans leur travail. À l’inverse, ceux qui ont naturellement tendance à intensifier leurs efforts quand le délai se rapproche ne ressentent pas le même regain de motivation.
Les managers disposent donc d’une carte supplémentaire pour tirer le meilleur de leurs équipes… sans les épuiser ! Au lieu du classique « du moment que le boulot est fait, tu t’organises comme tu veux », ils sont incités à développer une pédagogie du séquencement des tâches, et à laisser de l’autonomie à leurs collaborateurs pour structurer leurs journées à leur guise. À noter : la difficulté d’une tâche s’apprécie également en fonction de son importance (enjeu faible ou fort) et de son degré d’urgence.
Une théorie testée en conditions réelles dans deux entreprises
Avant cette publication, d’autres recherches avaient abordé le même sujet, mais principalement avec des expériences en laboratoire sur des tâches simples de quelques dizaines de minutes. À l’inverse, le présent travail se veut fidèle à la réalité. La première expérience de terrain a été menée avec 166 participants volontaires, dans leur entreprise, pendant cinq jours ouvrés.
La seconde étude a adopté une autre approche, la méthode d’échantillonnage d’expérience, sur une durée de deux semaines. Elle portait sur 226 salariés dont les retours étaient combinés avec ceux de leurs superviseurs. De plus, les participants étaient suivis du matin au soir, et pas seulement lors de leur premier choix du jour entre exigence immédiate et montée en puissance progressive. En effet, la sensation de bien-être au travail fluctue au fil des heures, jusqu’à forger l’impression globale qui restera de chaque journée.
Un équilibre à trouver entre motivation à agir et réticences internes
Pour comprendre les bénéfices du « plus difficile en premier », les chercheurs se basent sur la théorie de la dynamique cognitive du psychologue américain Arie W. Kruglanski. Elle explique pourquoi et quand un individu s’engage dans une tâche, en fonction de son niveau d’énergie mentale et de ses ressources cognitives du moment.
Selon cette théorie, la capacité à agir résulte de la différence entre la motivation d’une personne (ou Potentiel Driving Force (PDF) en anglais), fonction de l’importance du but à atteindre, de l’énergie disponible, de la probabilité de succès, du degré d’urgence, etc. ; et les obstacles internes qui la retiennent (Restraining Force, RF) : fatigue cognitive, distractions environnantes, inattention, impression de devoir fournir un effort démesuré, etc.
Pourquoi il est plus fatigant de garder le plus dur pour la fin
Notre PDF décline mécaniquement au fil des heures : quand nous enchaînons des tâches, notre niveau d’énergie s’amenuise peu à peu. Mais si nous allons du plus difficile au plus facile, la RF diminue aussi, puisque chaque nouvelle tâche exige moins d’efforts que la précédente. PDF et RF baissent donc de manière synchrone. Nous sommes plus sereins, plus confiants dans notre capacité à boucler notre programme quotidien, d’où l’impression de moindre fatigue et de détente en fin de journée.
À l’inverse, le salarié qui commence par le plus simple voit sa RF augmenter, puisqu’il accomplit des tâches de difficulté croissante. Plus les heures passent, plus il doit prendre sur lui pour continuer à avancer. Ce combat intérieur nourrit les doutes, la procrastination, la tentation de bâcler le travail et celle du désengagement. La journée semble plus fatigante et génère davantage de tension nerveuse.
Une équipe peut donc gagner en efficacité et ressentir plus de bien-être, uniquement en séquençant autrement ses tâches courantes. Encore faut-il le faire savoir. Aux entreprises et aux managers, désormais, de s’approprier ce levier de productivité vertueux.
En savoir plus
Chen Zhang, Zhaodong (Alan) Qiu, Helen H. Zhao, Mengxi Yang, Wansi Chen, Yuan Ma, Harnessing the Potential of Workday Design: The Sequencing of Task Difficulty and Its Implications for Workday Well-Being and Performance, Personnel Psychology, mai 2025. https://doi.org/10.1111/peps.12685
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Professeur

QIU
Zhaodong (Alan) QIU est Professeur Assistant au département Hommes et Organisations à NEOMA Business School. Il a obtenu son Ph.D. en Management à l’Université de Tsinghua. Pendant ses études doctorales, il a été chercheur invité à Stephen M. Ross School of Business, University of Michi