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Communication de crise : pourquoi les argumentaires basés sur les faits ne suffisent pas

Communiquer en temps de crise, ce n’est pas seulement parler de la situation, des moyens déployés sur le terrain ou des responsabilités engagées. C’est aussi traiter des émotions collectives souvent négligées, comme le dégoût ou le mépris pour l’entreprise impliquée. Trois chercheurs, dont Branko Božič de NEOMA, analysent cette perspective élargie dans un article récent et montrent qu’elle peut inspirer des argumentaires mieux ciblés et plus efficaces.

Golfe du Mexique, 2010. La marée noire provoquée par l’explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon plonge BP dans une crise qui lui coûtera 23 milliards de dollars et dégradera son image pendant une décennie. 

Pourtant, BP a déployé une communication de crise de grande ampleur. Mais elle n’a pas suffi à éviter les dégâts ni sur sa réputation, ni sur la perception de sa compétence et de son éthique. Un scénario très fréquent, qui interroge sur la pertinence des messages utilisés.

Apaiser la colère, c’est essentiel, mais insuffisant

L’originalité du travail des trois chercheurs ? Revisiter le sujet sous l’angle des émotions ressenties par le grand public face à une crise. Elles jouent un rôle déterminant dans la façon dont celle-ci sera comprise, interprétée, mémorisée à long terme. Si les émotions initiales sont fortes et négatives, elles jetteront le discrédit sur toutes les informations et messages qui suivront. L’objectif de la communication de crise : les atténuer le plus possible.

Or, dans leur pratique, les entreprises cherchent surtout à atténuer une seule émotion : la colère. Médias, réseaux sociaux, forums en ligne, etc. se focalisent sur l’événement proprement dit, s’inquiètent de ses conséquences, exigent réparation et veulent établir les responsabilités. En écho, la société fautive leur fournit des points sur la situation, les moyens déployés ou la part de responsabilité qu’elle reconnaît. C’est le schéma le plus classique. 

Communiquer aussi sur la compétence et l’éthique de l’entreprise

Sa faiblesse majeure : il n’offre aucune réponse à deux autres émotions très fréquentes en temps de crise, le dégoût et le mépris. Le dégoût se focalise sur l’éthique, la moralité ou les intentions de l’entreprise ; sur l’un des forums en ligne créés pour Deepwater Horizon, un internaute s’indignait de la « cupidité écœurante » de BP. Quant au mépris, il porte sur l’incompétence de la société pour éviter la crise ou y remédier. Sur le même forum, les ingénieurs de BP étaient traités de « stupides », « idiots » ou « crétins ». 

Une communication de crise centrée sur les faits et les responsabilités peut atténuer la colère collective. Mais elle est impuissante face au dégoût et au mépris, qui de plus produisent des effets à long terme. Car ils ne se concentrent pas sur l’événement lui-même, mais sur la société responsable de son déclenchement. Celle-ci est jugée amorale, incapable, infréquentable, et cette réputation la suivra durablement. Alors que la colère suscitée par un accident peut décroître quand les dégâts sont réparés et les victimes, indemnisées.

Quand la communication de crise aggrave la situation

Cette analyse par le filtre des émotions décrypte aussi les effets parfois catastrophiques de certaines démarches de communication de crise. En particulier quand les premières prises de parole sont manquées : messages flous, PDG mal à l’aise pour les porter, action sur le terrain trop lente, responsabilités non assumées...

La frange du public qui était dans la colère bascule alors dans le mépris (« quelle incompétence ! ») ou le dégoût (« ils s’en f… »). Quant à ceux qui éprouvaient ces deux émotions dès le départ, ils sont renforcés dans leur conviction par cette accumulation de ratés. C’est l’escalade. La situation s’aggrave, l’entreprise – et non l’événement – se retrouve sous le feu des critiques et le paiera très cher. L’action BP, qui valait 60 dollars juste avant l’explosion de Deepwater Horizon, a chuté brutalement et n’a jamais retrouvé ce niveau en 15 ans.

Segmenter ses messages pour traiter toutes les émotions

Pour éviter aux entreprises de tels dommages, les auteurs de l’article plaident pour une communication de crise plus élaborée, qui répond à ces trois émotions ressenties par le public. Pour atténuer la colère, mieux vaut concentrer ses messages sur l’événement lui-même et parler causes, conséquences, moyens engagés et responsabilités. Par exemple, démontrer que les dégâts sont finalement moins graves qu’on le craignait, décrire les mesures correctives en cours ou reconnaître la responsabilité de la société.

Pour apaiser le dégoût et le mépris, il faut focaliser les messages sur l’entreprise et apporter des gages sur son éthique et sa compétence. Exemples : rappeler ses réussites passées sur ces sujets (prix, certifications, labels…) ou présenter les changements importants engagés depuis la crise. 

Identifier les émotions du public dès le début de la crise

Au terme de cette segmentation et de la définition des messages, la communication de crise à déployer doit être synthétisée et mise en cohérence : le public la recevra et la percevra comme un tout. L’exercice gagne donc en complexité, mais doit toujours être réalisé rapidement : en période de crise, communiquer trop tard est une erreur lourde de conséquences.

Enfin, les chercheurs recommandent d’évaluer les émotions collectives dès le début de la crise, à l’aide d’outils spécialisés dans l’observation des réseaux sociaux. Les premières réactions du public deviendraient alors l’une des données d’entrée de toute communication, afin de rendre celle-ci plus efficace et de préserver les intérêts de l’entreprise impliquée.

En savoir plus

P. Antonetti, C. Valor et B. Božič, Mitigating Moral Emotions After Crises: A Reconceptualization of Organizational Responses, Journal of Business Ethics, juillet 2025. https://doi.org/10.1007/s10551-025-06042-5

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Professeur

BOZIC Branko

Je suis chercheur en management et professeur associé de marketing à NEOMA Business School, avec une expertise couvrant la recherche en organisation et en marketing. J’étudie comment la confiance et la méfiance sont créées, maintenues et réparées aux niveaux individuel, collectif et organi