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Transparence des essais cliniques : une réforme efficace, mais des effets secondaires

Depuis 2007, la Food and Drug Administration (FDA) américaine oblige les laboratoires pharmaceutiques à publier les résultats de leurs essais cliniques, qu’ils soient concluants ou non. Selon une étude réalisée par quatre chercheurs, dont Kyungran Lee de NEOMA, cette transparence a eu des effets positifs sur les stratégies d’innovation des firmes. Mais les patients ne sont pas toujours gagnants. 

L’industrie pharmaceutique est la championne du monde de l’innovation, loin devant les semiconducteurs ou l’informatique : elle consacre à la R&D jusqu’à un quart de son chiffre d’affaires. Elle mène notamment de coûteux essais cliniques pour valider ses nouveaux médicaments. Longtemps, les firmes ont gardé secrets les résultats détaillés de ces essais : les divulguer, c’était offrir gratuitement aux concurrents des informations acquises à prix d’or.

96 % des essais cliniques sont des échecs

Mais en 2007, la Food and Drug Administration (FDA) américaine a bouleversé cet équilibre en imposant la transparence des essais cliniques. Y compris s’ils étaient infructueux, ce qui arrive dans 96 % des cas : il y a bien plus d’échecs que de succès. Les industriels ont alors eu accès aux modalités détaillées des essais de leurs concurrents. Une révolution.

L’étude qui vient d’être publiée s’est penchée sur les impacts de ce séisme : le nombre d’essais cliniques a-t-il baissé ou augmenté ? Les firmes ont-elles investi de manière plus judicieuse ? Cette transparence a-t-elle donné naissance à des médicaments plus efficaces ? Quelles conséquences pour les patients ? 

Premier effet de la transparence : davantage d’essais arrêtés

Au départ, tous les scénarios semblaient envisageables. Un laboratoire qui apprend qu’un concurrent a réussi un essai clinique peut décider d’interrompre le sien, puisque le créneau semble occupé ; ou de mettre les bouchées doubles en exploitant ce retour d’expérience. De même, l’échec d’un rival peut inciter à renoncer s’il révèle des difficultés majeures, ou à persévérer si on sait comment les résoudre.

Premier enseignement de l’étude, qui a porté sur plus de 1 000 entreprises pharmaceutiques et 6 500 essais cliniques, entre 2002 et 2012 : la proportion de projets arrêtés a augmenté. En particulier pour les essais cliniques de phase 2, qui évaluent l’efficacité d’une molécule thérapeutique et sa tolérance chez l’être humain : entre 2007 et 2012, leur taux d’abandon a quadruplé. 

Moins de concurrence, plus d’apprentissage

Deuxième enseignement : après 2007, les laboratoires ont continué à lancer chaque année davantage d’essais cliniques, mais à un rythme moindre. Ce double mécanisme (plus d’essais interrompus, ralentissement de la croissance des nouveaux essais) est encore plus marqué dans les entreprises présentant une situation financière fragile, pour lesquelles il est vital d’investir à bon escient. 

Pour les auteurs, ces évolutions montrent que la décision de la FDA a modifié en profondeur les stratégies d’innovation du secteur pharmaceutique. 

Par le passé, le fait que certaines firmes arrêtent des essais incitait les autres à en lancer davantage : les arbitrages étaient dictés par une logique de concurrence. Désormais, le mécanisme prépondérant est l’apprentissage. Éclairés par les retours d’expérience de leurs pairs, les laboratoires privilégient la pertinence de leurs essais à leur quantité. Un virage salué par les marchés financiers : entre 2007 et 2012, les firmes dont les essais ciblaient des maladies pour lesquelles les projets industriels sont nombreux ont vu leur valeur boursière augmenter.

Des nouveaux médicaments plus sûrs pour les patients …

Considérée sous cet angle, la transparence des essais cliniques semble parée de toutes les vertus. On peut même supposer qu’ainsi, le développement de futurs médicaments coûterait moins cher et que leur prix suivrait la même tendance. 

Toutefois, les auteurs ont voulu vérifier les répercussions de cette réforme sur la santé des patients. Cette fois, leurs conclusions sont contrastées, avec une bonne et une mauvaise nouvelle.

La bonne nouvelle, c’est que les médicaments développés à partir de 2007 et jusqu’en 2017 provoquent deux fois moins d’effets secondaires dits « graves »– hospitalisation, maladie potentiellement mortelle, malformation, handicap voire décès. L’accès à des informations détaillées sur les essais cliniques génère en fin de compte des traitements de meilleure qualité, en tout cas plus sûrs pour ceux qui en bénéficient.

… mais une réponse thérapeutique moins efficace sur les maladies graves

En revanche, la croissance ralentie des nouveaux essais cliniques a un impact négatif sur l’espérance de vie en bonne santé des patients. Les auteurs sont parvenus à cette conclusion en étudiant les chiffres de l’OMS sur les 20 pathologies qui causent le plus de décès et d’invalidités dans le monde : affections cardiaques, AVC, maladies respiratoires, cancers, diabète, tuberculose, etc. 

Ils ont séparé en deux groupes les laboratoires qui développent des médicaments pour ces maladies. D’un côté, ceux qui ont beaucoup freiné la croissance de leurs nouveaux essais (- 46 % en moyenne) ; de l’autre, ceux qui l’ont peu ou prou maintenue ( + 5 % en moyenne). 

Quand on compare avec ce critère les années 2000 et 2016, le constat est clair : les patients sont perdants quand leur pathologie relève des firmes qui ont levé le pied. Si celles-ci avaient consenti le même effort de R&D que les autres, les malades concernés auraient récupéré 7,6 millions d’années cumulées de vie « en bonne santé », c’est-à-dire sans invalidité ni décès prématuré.

Les nouveaux médicaments nés de la transparence des essais cliniques sont donc plus sûrs pour les patients. Mais  la diminution de la quantité de médicaments a entraîné une perte potentielle de santé publique, en particulier pour les affections graves. Des effets secondaires que la FDA n’avait sans doute pas anticipés.

En savoir plus

Po-Hsuan Hsu, Kyungran Lee, S. Katie Moon & Seungjoon Oh, Information disclosure and peer innovation: Evidence from mandatory reporting of clinical trials, Journal of Financial and Quantitative Analysis, janvier 2025 doi.org/10.1017/S002210902400084X

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