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Santé mobile : et si l’engagement passait par le bien commun ?

Dans le domaine des applications de santé mobile, l’engagement des utilisateurs reste un défi, même lorsque la confiance et l’utilité pratique sont au rendez-vous. Une étude impliquant Michael Andreas Zaggl, chercheur à NEOMA, montre que d’autres leviers entrent en jeu. À partir de l’analyse des usages réels d’une application menstruelle, elle met en lumière le rôle central de l’utilité sociale perçue.

Dans une société de plus en plus numérique, la santé n’échappe pas à la déferlante technologique. Suivi glycémique, rappels de traitement, accompagnement post-opératoire… La santé mobile – ou mHealth – désigne l’ensemble des applications et dispositifs numériques qui facilitent la prévention, le suivi ou la gestion des soins via smartphone et autres objets connectés. Estimé à plus de 170 milliards de dollars en 2024, ce marché mondial pourrait dépasser les 4 000 milliards d’ici 2032. En France, les autorités tentent d’en encadrer l’essor par des référentiels qualité et un catalogue officiel.

Certaines applications ont d’ores et déjà prouvé leur utilité, notamment dans le domaine des maladies chroniques, de la santé mentale ou reproductive. Pourtant, une difficulté persiste : les utilisateurs téléchargent, mais s’engagent peu. Pourquoi ? Pour convaincre les usagers, les développeurs misent généralement sur deux piliers : l’utilité pratique et la confidentialité des données. Et s’il manquait un levier plus profond ? L’étude récente impliquant le chercheur de NEOMA, propose une nouvelle lecture des ressorts de l’engagement et invite à repenser les stratégies de conception.

Des applis utiles, mais sous-utilisées

Bon nombre d’applications de santé sont gratuites et conçues dans un cadre éthique, parfois à but non lucratif. Elles ne visent pas à capter l’attention, mais à rendre service, voire à alimenter la recherche. Et pourtant, une application, aussi bien pensée soit-elle, ne peut remplir son rôle que si elle est utilisée dans la durée. C’est tout l’enjeu de l’engagement utilisateur : une notion qui désigne la fréquence, la constance et la diversité des usages d’une application. 

Pour mieux cerner les mécanismes de cet engagement, l’étude s’est penchée sur les pratiques réelles autour d’une application de santé mobile dénommée Lucy. Gratuite et conçue par une ONG, cette application de suivi menstruel vise à aider les utilisatrices à mieux comprendre leur cycle tout en contribuant à la recherche en santé féminine, notamment sur l’endométriose. À partir de ce cas, les scientifiques ont exploré ce qui, dans l’expérience vécue, encourage une utilisation active ou au contraire, un décrochage.

L’utilité sociale, nouveau levier d’engagement ?

L’étude ne s’est pas limitée aux intentions déclarées par les utilisatrices. Elle a analysé leur comportement effectif : fréquence d’usage, temps passé, variété des fonctionnalités activées... Quatre facteurs ont ainsi été examinés : les risques perçus liés à l’utilisation, les bénéfices attendus pour soi, l’impact potentiel pour la société et la confiance accordée à l’application.

Les résultats réservent une surprise ! Ni la confiance dans l’outil, ni le bénéfice personnel ne suffisent à expliquer un engagement fort. Les inquiétudes liées à la confidentialité des données n’apparaissent pas non plus comme un frein majeur. Le seul facteur réellement associé à un usage soutenu est le sentiment de contribuer à une cause collective : aider la recherche, faire progresser la connaissance, servir un objectif plus vaste que soi.

Ce constat vient bousculer les présupposés habituels du design des applications mHealth. Il suggère que, dans certains contextes touchant notamment à l’intime, ce n’est pas tant le bénéfice individuel qui motive l’usage mais la perception d’une utilité sociale. 

L’utilité passe aussi par le collectif 

Cette étude ne permet pas de tirer des généralités applicables à toutes les solutions mHealth. Elle porte sur un cas particulier et ses résultats doivent être interprétés avec précaution. Elle met toutefois en lumière une dynamique souvent négligée dans les approches de conception : l’engagement peut aussi être nourri par la contribution. Valoriser l’impact collectif des données, offrir un retour sur ce qu’elles permettent de faire avancer, ou créer un sentiment d’appartenance à une communauté utile sont autant de leviers à intégrer dès la conception. Cela ne remet pas en cause les exigences de sécurité, de transparence ou d’efficacité individuelle, mais invite à considérer l’utilisateur non seulement comme un usager, mais aussi comme un acteur de la santé publique.

Ce positionnement fait écho aux constats récents de la Haute autorité de santé (HAS) française : les référentiels actuels restent centrés sur les aspects techniques, juridiques ou médicaux. La question de l’engagement y est rarement abordée sous l’angle de la motivation sociale ou de l’expérience éthique. Et pourtant, cette dimension est essentielle pour faire de la mHealth une approche clé de la santé publique.

Dans un écosystème toujours plus dense, les concepteurs ont donc tout intérêt à élargir leur cadre de pensée. Car c’est peut-être là que se joue la fidélité numérique : dans ce subtil équilibre entre autonomie personnelle et sentiment d’utilité collective.

En savoir plus

Tsirozidis, G., Kirk, U. B., & Zaggl, M. A. (2025). Benefits for thee, not for me? mHealth engagement through the lens of privacy calculus theory and trust. Behaviour & Information Technology. https://doi.org/10.1080/0144929X.2025.2485395

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Professeur

ZAGGL

Michael Zaggl is a Full Professor at NEOMA Business School. He received his Habilitation degree from Technical University of Munich, a PhD from Technical University of Hamburg, and his Master’s and Bachelor’s degrees from the University of Koblenz. Before joining NEOMA, Dr. Zaggl held a tenured