Investir ou pas dans les pays populistes : sur quels critères se décider ?
Publié le 10/06/2025
Investir ou pas dans les pays populistes : sur quels critères se décider ?
Publié le 10/06/2025
Le début de mandat chaotique de Donald Trump le rappelle : l’arrivée au pouvoir d’un leader populiste bouleverse les règles du jeu politique et économique d’un pays. Les entreprises doivent-elles y réduire leurs investissements ? Comment évaluer leur niveau de risque ? Pour éclairer ces questions, trois chercheurs, dont Margherita Corina et Alfonso Carballo de NEOMA, ont étudié les investissements de 36 000 sociétés de 42 pays, entre 2005 et 2021.
Depuis la crise financière de 2008 et la montée du populisme dans le monde, de nombreux chercheurs se penchent sur la facette politique de ce phénomène : polarisation du débat public autour du « peuple » et des « élites », instauration précipitée de réformes majeures, remise en cause des institutions, décisions imprévisibles, voire erratiques…
Or, ces changements bousculent aussi l’économie et les entreprises, car ils font monter en flèche le niveau d’incertitude. Les investissements, en particulier, sont impactés : difficile de faire des paris sur l’avenir quand il devient illisible.
C’est ce lien entre populisme et stratégies d’investissement que trois chercheurs, dont Margherita Corina et Alfonso Carballo, de NEOMA, ont approfondi à travers une étude. Celle-ci s’appuie sur l’analyse des décisions de 36 000 sociétés de 42 pays, entre 2005 et 2021.
Trois conclusions se dégagent. D’abord, là où le populisme s’installe, l’investissement diminue. Ensuite, dans les pays où les institutions politiques garantissent un certain équilibre des pouvoirs, ce recul est moins marqué. Enfin, plus les leaders populistes restent longtemps au pouvoir, moins ces institutions freinent la baisse des investissements.
Cette étude enrichira la réflexion des entreprises qui aujourd’hui, s’interrogent sur leur stratégie face à la montée des populismes. Il ne s’agit plus d’investir en fonction des seuls critères économiques (niveau de risque, taux d’intérêt, rentabilité attendue, etc.) : l’existence de ces contre-pouvoirs s’invite dans l’analyse.
Les auteurs s’intéressent à trois formes d’équilibre des pouvoirs. La première, et la plus importante à leurs yeux, c’est le système électoral du pays. S’il est basé sur le scrutin majoritaire, une victoire du parti populiste peut lui donner la main sur tous les processus de décision. Les entreprises, qui craignent des bouleversements majeurs, révisent à la baisse leurs investissements.
En revanche, si le scrutin proportionnel est en vigueur, l’exécutif sera issu d’une coalition et son programme sera négocié entre plusieurs partis ; l’aile populiste devra mettre de l’eau dans son vin. La règle proportionnelle réduit par sa nature même l’ampleur des futures transformations. Ce qui favorise l’investissement.
L’indépendance de la justice, autre forme d’équilibre des pouvoirs, n’a pas la même influence. Certes l’existence d’une Haute cour indépendante est une solide garantie, de même que la liberté laissée aux juges de rendre des décisions, sans risque d’être sanctionnés. Les entreprises peuvent en attendre une relative stabilité des règles du jeu économique.
Toutefois elles savent que les gouvernements populistes n’hésitent pas à remettre en cause cet état de fait. En Pologne, en 2015, le parti PiS a considérablement réduit les pouvoirs du Tribunal constitutionnel, sa plus haute juridiction. Au Mexique, en 2024, le parti Morena a modifié la Constitution : les juges de la Cour suprême sont désormais désignés par le vote des électeurs.
Enfin, les auteurs montrent que le niveau d’investissement des entreprises est lié à la transparence des gouvernants, ainsi qu’à leur degré de responsabilité vis-à-vis des conséquences de leur action : peuvent-ils être destitués, traduits en justice, sanctionnés, sommés de s’expliquer ? La presse est-elle libre ? Le droit à manifester est-il reconnu ? La tenue régulière d’élections est-elle acquise ?
Toutefois, cette obligation de l’exécutif à rendre des comptes joue un rôle plus réduit dans les décisions des entreprises. C’est en effet une forme d’équilibre des pouvoirs peu efficace pour faire barrage à un leader populiste décidé à tout transformer.
Les auteurs constatent enfin qu’au fil du temps, la faculté des contre-pouvoirs à atténuer les réticences des entreprises à investir s’érode. Car beaucoup de leaders populistes bousculent les institutions et les règles du jeu démocratique, perçues comme des entraves à leurs ambitions réformatrices. Les exemples de la Pologne et du Mexique en témoignent.
Ces institutions subissent des pressions répétées, parviennent à résister ou finissent par être fragilisées. De plus, ces manœuvres du pouvoir en place ne s’affichent pas au grand jour ; elles sont détournées, souterraines, minimisées. Pour les entreprises, cela signifie encore plus d’incertitude et moins de visibilité, puisque les contours des changements à venir restent flous.
Ces multiples attaques ont des conséquences à long terme : plus un dirigeant populiste reste en place longtemps, moins les institutions sont efficaces pour stopper la tendance à la baisse des investissements.
Les auteurs observent par ailleurs qu’il serait intéressant d’étudier en profondeur si les exécutifs populistes provoquent des dégâts différents, selon qu’ils se réclament de gauche ou de droite. Les entreprises se méfient-elles davantage des leaders populistes sans orientation politique affichée, plus imprévisibles ? Ou le débat gauche – droite est-il dépassé, et remplacé par le clivage entre les nationalistes-conservateurs, et les « citoyens du monde » aux positions sociales progressistes ?
Margherita Corina, Christopher Hartwell et Alfonso Carballo, Holding back the Damage: strong political Institutions and the Effect of Populism on Business Investment, Journal of International Business Studies, février 2025. DOI:10.1057/s41267-024-00769-5