Hydrogène : toujours vert, jamais mûr
Publié le 29/04/2025
Hydrogène : toujours vert, jamais mûr
Publié le 29/04/2025
Pourquoi l’hydrogène vert reste-t-il une technologie en perpétuelle émergence ? Une étude menée par Valéry Michaux, chercheuse à NEOMA, pointe une double dynamique : d’un côté, la transition énergétique et les investissements massifs, et, de l’autre, l’inertie des systèmes industriels qui freine son adoption.
Depuis 25 ans, l’hydrogène vert est l’énergie de demain. Mais pourquoi n’est-il jamais celle d’aujourd’hui ? Présenté comme la clé d’une mobilité propre, il alimente les espoirs politiques, les stratégies industrielles, et fait l’objet de milliards d’investissements. Pourtant, dans la course à la mobilité décarbonée, la voiture à hydrogène s’est fait prendre un tour par le véhicule électrique, qui caracole désormais loin devant. Pourquoi l’hydrogène vert peine-t-il à s’imposer ? Entre inertie industrielle, blocages institutionnels et évolution des priorités énergétiques, l’étude de Valéry Michaux décrypte les mécanismes qui maintiennent l’hydrogène dans un état d’émergence perpétuelle.
L’étude démarre par un bilan réalisé sur les dix dernières années. En 2015, l’hydrogène n’est pas une nouveauté. Il génère des brevets depuis 1890 et suscite un intérêt croissant depuis le début des années 2000 avec l’arrivée de l’hydrogène « vert », produit à partir d’eau et d’électricité renouvelable. Sur le papier, il présente des avantages indéniables, comme une recharge rapide et une grande autonomie. Il reste néanmoins coûteux à produire et très dépendant d’infrastructures d’énergies renouvelables, photovoltaïques et éoliennes, encore peu développées. Le véhicule électrique est quant à lui soutenu par des investissements massifs depuis les années 1980. Mais il fait toujours figure d’utopie. Trop cher, peu autonome, trop marginal…
Résultat : ces deux technologies sont considérées comme des « innovations de demain ». Sauf que ce demain intemporel arrive finalement bien vite ! Le catalyseur ? C’est la Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques, ou COP21. Celle-ci fait de la transition énergétique une priorité mondiale. En réponse, l’Union européenne met en place des politiques incitatives visant à décarboner la mobilité, responsable d’un quart de ses émissions de gaz à effet de serre. Les investisseurs répondent présent, l’industrie automobile, un peu moins.
Malgré les objectifs affichés de la transition énergétique, l’étude montre que jusqu’en 2019, l’industrie automobile est marquée par un phénomène de « lock-in ». Autrement dit, le véhicule thermique s’est installé en maître et verrouille l’industrie. Cela empêche toute percée des alternatives, malgré des investissements renforcés dans les innovations autour de l’hydrogène et de l’électrique après la COP21.
Puis tout bascule, avec le « Green deal » européen. Son objectif : faire de l’Europe le premier continent climatiquement neutre d’ici à 2050. Les moteurs thermiques doivent être progressivement éliminés jusqu’à disparaître complètement du marché européen en 2035. Les industriels n’ont plus le choix que d’adopter des solutions plus écologiques pour remplacer un moteur thermique devenu obsolète.
L’étude montre que d’abord opposées aux moteurs thermiques, les technologies vertes se livrent ensuite leur propre guerre. Entre les deux, l’industrie automobile a tranché pour l’électrique. Plus mature et plus facilement intégrable à sa chaîne de production, ce modèle facilite la transition du secteur. L’hydrogène impose au contraire un bouleversement trop radical. Infrastructures, production, stockage : tout est à inventer.
Cette situation est renforcée par l’arrivée de la guerre en Ukraine, qui plonge l’Europe en pleine crise énergétique. La production d’hydrogène requiert alors trop d’électricité dans un monde qui prône les bienfaits d’un modèle de sobriété et d’efficacité énergétique. Pour autant, l’hydrogène n’est pas abandonné. Il est d’abord cantonné à des mobilités spécifiques : bus, poids lourds et mobilité intensive avec les taxis et les utilitaires. Mais une fois encore, l’arrivée massive de camions électriques met en péril son adoption. Si bien qu’en 2023, 220 modèles de poids lourds électriques sont disponibles à l’international, contre seulement 12 modèles à hydrogène.
Malgré son retard, l’hydrogène continue d’attirer les investissements. L’étude montre que les crises énergétiques et les évolutions politiques réactivent régulièrement l’intérêt pour cette technologie. Ces dernières années, de nouveaux designs apparaissent. L’hydrogène pourrait par exemple être utilisé sous forme liquide plutôt que gazeuse. Il pourrait aussi contribuer à la composition de carburants de synthèse rallongeant la durée de vie des véhicules thermiques. Néanmoins, chaque fois que son heure semble venue, l’hydrogène voit la ligne d’arrivée s’éloigner.
Ce statut, la chercheuse l’illustre à travers le concept de « technologie perpétuellement émergente ». Il s’agit d’une innovation qui reste dans un état d’attente perpétuelle, sans jamais atteindre un véritable déploiement massif. L’hydrogène vert connaîtra-t-il un jour le sort de la voiture électrique, restée longtemps marginale avant d’exploser ? Rien n’est certain. Mais il risque bien de rester encore longtemps « l’outsider » de la mobilité.
MICHAUX, Valéry. Transition énergétique et compétition entre technologies vertes. Le cas de l’hydrogène décarboné dans la mobilité. Revue Française de Gestion. https://shs.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2024-6-page-115?lang=fr&tab=texte-integral