Bioéconomie : promesse de durabilité ou équilibre fragile ?
Publié le 1/04/2025
Bioéconomie : promesse de durabilité ou équilibre fragile ?
Publié le 1/04/2025
Utiliser des ressources biologiques renouvelables plutôt que des ressources fossiles pour produire des biens et des services, c’est l’approche en apparence plus écologique proposée par la bioéconomie. Une étude impliquant deux chercheurs de NEOMA, Stéphane Lhuillery et Nicolas Befort, met toutefois en évidence une autre réalité : celle d’un modèle peu innovant, jusqu’à présent axé sur des technologies peu soutenables.
La bioéconomie est souvent présentée comme une réponse aux défis mondiaux majeurs, tels que le changement climatique, la sécurité alimentaire ou l’épuisement des ressources naturelles. Ce modèle économique repose sur l’utilisation de ressources biologiques renouvelables pour produire des biens et des services, offrant une alternative aux énergies fossiles.
Cependant, la définition même de la bioéconomie reste floue. En effet, elle varie selon les institutions, les pays et les perspectives. Cette diversité de définitions complique l’identification des secteurs mais aussi des technologies associées à la bioéconomie et limite sa visibilité, notamment auprès des décideurs. Tout particulièrement, l’absence de catégories de brevets dédiées à la bioéconomie empêche de mesurer précisément son impact, rendant sa contribution à l’innovation mondiale difficile à cerner.
Dans ce contexte, l’étude récente menée par les chercheurs de NEOMA s’est attachée à éclairer la situation en posant des questions clés : quelles sont les innovations et technologies qui contribuent véritablement à la bioéconomie ? Et surtout, sont-elles réellement durables ?
Les chercheurs distinguent deux grandes visions de la bioéconomie. La première est portée par les biotechnologies, c’est-à-dire l’application de technologies à des organismes vivants. Elle est promue par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et s’appuie, par exemple, sur des avancées technologiques telles que la production de bioplastiques à l’aide de microorganismes. Elle met également en exergue des techniques génétiques et leur utilisation dans des processus industriels, tels que la production d’insuline par des bactéries génétiquement modifiées.
Plus large, la seconde conception de la bioéconomie se concentre sur la transformation de la biomasse. Celle-ci peut provenir de l’agriculture, des forêts ou des déchets. Elle est transformée en biocarburants, en matériaux biodégradables ou en autres produits. Des bioraffineries exploitent notamment, avec des technologies originales, des résidus agricoles pour produire du bioéthanol, ou encore des algues pour générer des carburants alternatifs. Ce modèle, soutenu par l’Union européenne, illustre la diversité des processus associés à la bioéconomie qui dépassent les seules biotechnologies. Les chercheurs montrent que cette vision large est davantage adaptée à la réalité industrielle de la bioéconomie d’aujourd’hui.
Toutefois, indépendamment de la vision choisie, l’analyse de l’ensemble des brevets déposés entre 1983 et 2015 montre que les biotechnologies et la transformation de la biomasse sont d’une part des activités peu innovantes, d’autre part qu’elles appartiennent à des secteurs variés, en amont des secteurs de l’agriculture et l’agroalimentaire souvent privilégiés dans les analyses antérieures. Plus inquiétant encore, le caractère vertueux de la bioéconomie est remis en question par la rareté des technologies vertes utilisées.
L’un des principaux enjeux soulevés par l’étude est la difficulté de la bioéconomie à répondre aux critères stricts de durabilité. En effet, une part importante des innovations associées à ce modèle ne remplit pas les objectifs environnementaux affichés au niveau international. Par exemple, moins de la moitié des bioraffineries innovantes étudiées contribueraient par leurs innovations à des objectifs écologiques.
Résultat : bien que la bioéconomie repose sur des ressources renouvelables, ses processus industriels ne garantissent pas une exploitation vertueuse de la biomasse, ni une réduction significative des impacts environnementaux. En cherchant à s’émanciper des énergies fossiles, la bioéconomie risque au contraire de reproduire les erreurs du modèle qu’elle prétend remplacer. La surexploitation des ressources biologiques, comme la déforestation excessive pour la production de biocarburants, en est une démonstration flagrante.
Dans ce contexte, les chercheurs insistent sur l’importance de valoriser et aider les innovations véritablement « vertes », et pas uniquement la bioéconomie dans sa globalité. Ils plaident également pour un renforcement des collaborations entre les secteurs privés et publics, afin de promouvoir des technologies respectueuses de l’environnement et d’accélérer leur déploiement.
Si la bioéconomie porte des promesses indéniables, elle n’est pas encore à la hauteur de ses ambitions en matière de durabilité. En ce sens, les chercheurs soulignent la nécessité d’investissements mieux ciblés, d’outils d’évaluation rigoureux et d’une meilleure coordination des politiques publiques pour guider cette transition. Réaliser le potentiel de la bioéconomie requiert de transformer une vision sectorielle, en une vision centrée sur les technologies durables.
Stéphane Lhuillery, Nicolas Befort, Samih Atmane, Biotechnology or bioeconomy: Six of one and half a dozen of the other?, Ecological Economics, Volume 229, 2025, 108470, ISSN 0921-8009, https://doi.org/10.1016/j.ecolecon.2024.108470