Cinq paradoxes dans l’enseignement supérieur mondial
Publié le 12/05/2025
Cinq paradoxes dans l’enseignement supérieur mondial
Publié le 12/05/2025
Intelligence artificielle, replis nationaux, urgence climatique… Comme l’ensemble de nos sociétés, l’enseignement supérieur vit des transformations sans précédent. À la croisée des évolutions mondiales, les Business Schools doivent se réinventer pour répondre à des défis complexes. L’expérience de Delphine Manceau, membre du Board mondial de l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business) depuis 2023, lui permet d’identifier les grandes tensions auxquelles sont confrontées les écoles de management en France mais aussi à travers le monde.
Depuis les années 1980 et jusqu’à aujourd’hui, les Business Schools ont accompagné la mondialisation des entreprises et des économies, en internationalisant fortement les promotions d’étudiants et les corps professoraux, et en développant des partenariats et des échanges avec des institutions académiques du monde entier. Les évolutions de ces derniers mois constituent un changement radical de contexte. La guerre en Ukraine a arrêté les coopérations académiques avec la Russie. La Chine connaît un ralentissement de sa croissance qui encourage ses étudiants à privilégier les universités chinoises pour leurs études supérieures. Plusieurs pays accordent moins de visas étudiants ou rendent plus difficiles l’accès aux étudiants internationaux (Canada, Pays Bas, Australie, etc.). L’administration américaine augmente les droits de douane. Pour toutes ces raisons, de nombreux observateurs commencent à parler de « démondialisation ».
Ce contexte modifie fortement la donne pour les Business Schools : alors que l’international est au cœur de leur ADN, comment poursuivre leurs activités internationales pour continuer à préparer leurs étudiants à travailler pour des entreprises globalisées et construire une recherche à portée universelle ? Les écoles de management, ancrées depuis toujours dans l’idée d’accompagner la mondialisation, doivent désormais s’adapter à une nouvelle dynamique.
Une enquête du World Economic Forum de mars 2022 révélait que 70 % des présidents d’université dans le monde considéraient la santé mentale des étudiants comme l’un de leurs enjeux prioritaires. En effet, les jeunes ressentent aujourd’hui, bien davantage que leurs ainés hier, que le monde est marqué par une grande incertitude, ce qui génère inquiétudes et fragilités. Ils apprécient l’environnement protecteur des campus académiques, qui se mobilisent au service de leur sécurité et de leur bien-être.
Pour autant, ces espaces sécurisés et sécurisants, interrogent : sont-ils propices à préparer nos étudiants à affronter un monde complexe et incertain ? Comment les y préparer au mieux tout en les protégeant ? Cette dualité entre protection et préparation est au centre des préoccupations des dirigeants d’Université et de Business Schools aujourd’hui.
Les entreprises sont confrontées à des défis de plus en plus complexes, au croisement d’enjeux géopolitiques, technologiques, environnementaux et réglementaires.
Face à ces défis, l’interdisciplinarité est incontournable. Pourtant, nos systèmes académiques restent largement cloisonnés par disciplines, notamment dans les publications de recherche mais aussi dans les systèmes de reconnaissance des diplômes, rattachés en général à une discipline.
L’enjeu est de taille : comment dépasser les disciplines historiques pour construire des programmes plus transversaux et des recherches à la croisée des connaissances ? Les silos académiques, profondément ancrés, freinent cette transition.
L’intelligence artificielle automatise de nombreuses compétences et réduit l’importance des savoir-faire techniques. Ce faisant, elle remet les « soft skills », profondément humaines, au premier plan : esprit critique, sens stratégique, intelligence émotionnelle, leadership sont plus que jamais nécessaires pour accompagner la place de plus en plus prépondérante de l’intelligence artificielle dans notre société et dans nos économies.
Cette transition impose que la pédagogie soit plus que jamais au cœur des enjeux éducatifs : si l’étudiant peut désormais acquérir lui-même des savoirs fondamentaux, les « soft skills » nécessitent des apprentissages repensés. Il s’agit d’adapter nos programmes pour répondre à ces nouvelles attentes.
Les enjeux sociaux et environnementaux sont au cœur des préoccupations des Business Schools européennes qui les intègrent dans leurs cursus et leurs recherches. À l’inverse, dans d’autres régions du monde comme les Etats-Unis, ce sujet est appréhendé sous un prisme politique et la recherche académique sur ces enjeux ne fait plus aujourd’hui l’objet d’aucun financement fédéral. Quel rôle peut jouer le monde académique si le fait et la démarche scientifiques sont menacés sur ces sujets ? La question est aujourd’hui posée avec une grande acuité.