L’industrie du café, un modèle d’équilibre entre pragmatisme et idéalisme
Publié le 22/10/2024
L’industrie du café, un modèle d’équilibre entre pragmatisme et idéalisme
Publié le 22/10/2024
Comment une entreprise peut-elle résoudre des problèmes sociétaux tout en restant économiquement viables ? Doit-elle constamment naviguer entre idéalisme et pragmatisme ? En effet ces deux forces, sont souvent perçues comme opposées, mais elles sont aussi complémentaires. Elles forment donc un paradoxe. Pour apporter des éléments de réponse, des professeurs de NEOMA, de l’EDHEC et de l’université de Tampa ont étudié l’industrie du café, exemple d’une combinaison réussie entre idéalisme et pragmatisme.
En effet, l’industrie du café a rencontré de nombreux obstacles, que ce soit des baisses de la demande (notamment lorsqu’on considérait que c’était juste un produit psychoactif de mauvaise qualité), des défis environnement et sociaux (juste rétribution des producteurs, agriculture non durable, etc.). Et pourtant elle est florissante. En témoigne sa présence dans le monde entier, et son omniprésence dans différents environnements, que ce soit dans les foyers, les entreprises ou les commerces qui y sont consacrés. Ce n’est pas le cas du thé par exemple, qui n’est pas aussi présent en entreprise ; ou des sodas non plus et ils n’ont pas de commerce/lieux qui y sont consacrés comme les cafés, etc.
Nos chercheurs en ont tiré trois leçons que l’on peut transposer aujourd’hui à tous les secteurs, mais en particulier au secteur de l’entreprenariat social d’aujourd’hui.
L’industrie du café a réussi à la fois à rester pragmatique, c’est-à-dire faire du volume, se focaliser sur les profits et faire du café un simple stimulant psychoactif ; et à être idéaliste, c’est-à-dire faire de la qualité, faire du café un produit noble, et plus généralement tenir compte d’idéaux éthiques, sociaux ou environnementaux.
Les entreprises sociales pour perdurer – et avoir un réel impact- doivent elles aussi équilibrer ces deux forces. Elles sont souvent nées d’un idéal fort, un engagement à transformer une situation sociale ou environnementale. Cet idéal est leur boussole, guidant leur vision à long terme et donnant du sens à leurs actions. Le pragmatisme permet de tenir compte des contraintes immédiates, qu’elles soient économiques, opérationnelles ou réglementaires.
Concrètement, il peut s’agir de compromis sur les méthodes employées, de choix de financement ou de partenariats qui permettent à l’entreprise de rester à flot. Par exemple, une entreprise sociale spécialisée dans l’insertion professionnelle des personnes éloignées du marché du travail (idéalisme) peut pour rester viable, fixer des objectifs de productivité élevés, ce qui peut limiter le temps consacré à la formation de ses employés (pragmatisme).
De manière similaire, une exploitation agricole sociale qui embaucherait des personnes en réinsertion pour cultiver des produits biologiques (idéalisme) peut se voir obliger de fixer des prix élevés (pragmatisme), ce qui limite son marché à des personnes plus aisées, réduisant ainsi son impact social. L’important est de ne pas perdre de vue l’objectif ultime tout en prenant des décisions réalistes pour avancer, même dans des conditions imparfaites.
2. S’adapter à l’air du temps
L’industrie du café a su s’adapter aux contraintes socio-culturelles de son époque : elle a su par exemple développer le café équitable alors que le mouvement altermondialiste émergeait. Car au départ, les petits producteurs de café, souvent issus de régions pauvres, étaient exploités par des intermédiaires et recevaient une part insuffisante du prix final. La mise en place de labels équitables visait à garantir un prix juste et des conditions de travail décentes, tout en offrant une stabilité financière face à la volatilité des prix mondiaux.
Les entreprises du secteur social ont intérêt elles aussi à s’adapter à l’esprit du temps. Si elles ne veulent pas rapidement devenir obsolètes, elles doivent ajuster leurs stratégies en fonction des changements de contexte, qu’il s’agisse de tendances sociétales, d’attentes des consommateurs, de régulations gouvernementales ou de nouvelles technologies.
Le paradoxe ici réside dans la nécessité de répondre aux attentes immédiates tout en restant fidèle à un objectif de transformation qui dépasse les tendances passagères. Si une entreprise sociale se laisse trop influencer par les exigences du moment, elle peut finir par perdre de vue son objectif fondamental. Par exemple, une entreprise sociale qui fournit des logements abordables pour des familles en difficulté pourrait, sous la pression pour générer des revenus rapides, choisir de vendre certains de ses biens immobiliers à des investisseurs privés au lieu de les conserver pour ses bénéficiaires. Cette décision pourrait entraîner la perte de logements accessibles pour les familles dans le besoin, détournant ainsi l’entreprise de sa mission initiale d’inclusion sociale et de soutien aux plus vulnérables.
L’équilibre réside dans la flexibilité : ajuster les actions et les priorités pour répondre aux besoins actuels tout en gardant une vision claire de la transformation systémique que l’on veut voir advenir.
Notre étude de l’industrie du café suggère que les décisions passées influencent fortement les décisions futures et notamment que les idées passées se sédimentent pour supporter des choix futurs. Par exemple, durant la Seconde Guerre mondiale, le café a été considéré sous un angle avant tout pragmatique, car c’était une ressource stratégique pour les troupes, utilisées comme stimulant ; cette image a longtemps perduré durant l’après-guerre, avec le café souvent perçu principalement comme une boisson énergisante et fonctionnelle. Inversement, la vision idéaliste d’un café comme produit noble était déjà présente dans les années 1910 ; par la suite, cette idée fut « déterrée » pour être réexploitée bien plus tard, notamment dans les années 70, où l’on a à nouveau valorisé le café et on l’a considéré comme un produit prestigieux.
Notre étude de l’industrie du café montre que les idées passées se sédimentent pour supporter des choix futurs, les décisions prises qu’elles soient pragmatiques ou idéologiques,