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Le Monde de NEOMA

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La gestion des catastrophes naturelles, pandémies ou attentats terroristes s’appuie de plus en plus sur des outils numériques : plateformes Cloud, smartphones, réseaux sociaux, etc. Cette évolution est-elle une bonne idée, ou génère-t-elle aussi des risques supplémentaires ? Trois chercheurs, dont Dario Bonaretti de NEOMA, répondent à ces questions dans une vaste revue de littérature.

Tsunamis, tornades, tremblements de terre, inondations, éruptions volcaniques, accidents industriels, attaques terroristes, pandémie de Covid-19… Ces événements désignés sous le terme générique de « catastrophe » perturbent brutalement et sévèrement le quotidien des populations, incapables d’y faire face avec leurs seules ressources.

Le nombre de morts et de blessés, les maisons et routes détruites, l’interruption de services de base (eau, électricité, santé…) déclenchent une mobilisation exceptionnelle des acteurs publics. Elle se concrétise par l’envoi sur le terrain d’hommes et de moyens techniques lourds, mais aussi par un recours croissant à des outils numériques. Ces derniers collectent des données, les analysent, les partagent, les diffusent, pour guider et prioriser les opérations et informer les populations touchées.

254 publications internationales analysées

De plus, ces outils aident à conduire des actions préventives – par exemple, évaluer un risque d’inondation pour dimensionner des digues – et à se préparer à l’inévitable, en concevant notamment des modèles météo plus précis, des plans d’intervention ou des itinéraires d’évacuation.

La revue de littérature menée par les trois chercheurs décrit cette évolution à travers l’analyse de 254 publications du monde entier. Son objectif premier ? Déterminer si la transformation digitale déjà constatée dans les entreprises impacte aussi la gestion des catastrophes. Et sur ce point, la réponse est négative : les outils numériques sont présents, mais pas au point de bouleverser les processus et l’organisation des acteurs des secours. 

Un flot de données disponibles… mais pas forcément les bonnes

Ce tour d’horizon dégage par ailleurs une autre tendance : ces outils numériques, s’ils améliorent l’efficacité des secours, créent des risques et des vulnérabilités supplémentaires.

Premier exemple : les capteurs qui collectent des données avant ou pendant les catastrophes, par exemple le débit d’une rivière, la présence de gaz de combustion dans l’atmosphère, ou celle d’un ouragan repéré par des images satellite … Même nos smartphones peuvent générer de l’information : grâce à leur accéléromètre intégré, deux milliards de téléphones Android alimentent un système mondial de prévention et de détection géolocalisées des tremblements de terre.

Or le scénario de chaque événement est unique : il n’est jamais sûr que les données disponibles soient les bonnes face à une situation précise ni qu’elles soient à jour. De plus, leur représentativité et leur fiabilité ne sont pas garanties. L’article cite une application qui permet à des habitants, après un séisme, d’estimer sur photos aériennes les dégâts subis par les toitures, pour prioriser les interventions. Ce processus est très rapide, mais les avis des bénévoles ne sont pas fondés sur une expertise. Entre qualité et quantité de données, où mettre le curseur ?

Le partage de données souvent entravé

Autre écueil, le partage des données. Pompiers, secouristes, experts techniques, médecins peuvent collecter de l’information et la mutualiser. Mais s’ils utilisent des systèmes hétérogènes, des formats de données différents, un vocabulaire spécifique à leur métier pour décrire une situation, la mise en commun est entravée, voire empêchée.

De même, les technologies numériques multiplient les vecteurs de communication vers les populations sinistrées. Les canaux les plus anciens (télé, radio, SMS) restent toutefois les plus crédibles aux yeux de leurs cibles. Impossible de tout miser sur les réseaux sociaux, qui de plus propagent des rumeurs et de fausses informations que les autorités doivent alors contrer.

Visualiser les données pour faire passer des messages : tout un art

Enfin, le numérique offre des possibilités inédites pour traduire des données complexes en images géolocalisées, cartes, représentations 3D, etc. Ces outils de visualisation sont précieux si les données proviennent de multiples intervenants amenés à agir de manière coordonnée.

Mais ils ont une force de persuasion à double tranchant quand ils servent à informer ou à alerter des populations. Une étude de 2018 montre par exemple que la réaction des habitants – fuir, s’abriter ou ne rien faire – face à une annonce de tornade sur leur région dépend avant tout de leur interprétation des visuels qui décrivent la trajectoire prévisionnelle du tourbillon dévastateur.

Pannes, cyberattaques et fake news

Les outils numériques, acteurs montants de la gestion des catastrophes, doivent donc être utilisés avec précaution. D’autant qu’ils constituent eux-mêmes une « couche de vulnérabilité » additionnelle. Une coupure d’électricité prolongée, la destruction d’antennes-relais ou d’un data center peuvent neutraliser un réseau de communication essentiel. Une cyberattaque peut priver les équipes de secours de moyens d’aide à la décision. La diffusion orchestrée de fake news peut conduire des populations sinistrées à des décisions erronées, etc. Ces risques doivent être évalués et modélisés à l’échelle des territoires et de l’ensemble de leurs infrastructures numériques, pour faire de celles-ci des alliés fiables en temps de crise.

En savoir plus

Diana Fischer-Preßler, Dario Bonaretti et Deborah Bunker, Digital transformation in disaster management: A literature review, The Journal of Strategic Information Systems, 2024. https://doi.org/10.1016/j.jsis.2024.101865