Comment les banques s’adaptent au changement climatique
Publié le 17/12/2024
Comment les banques s’adaptent au changement climatique
Publié le 17/12/2024
Face à la montée des catastrophes climatiques, les banques doivent faire évoluer leurs stratégies. Quatre économistes dont Rong Ding, professeur de comptabilité à NEOMA Business School, montrent, dans une étude publiée dans l’European Journal of Finance, comment les établissements bancaires peuvent limiter les impacts économiques et systémiques, en diversifiant leurs prêts et en intégrant les risques climatiques dans leurs évaluations.
Tempête sur le Texas. Fin mai, plusieurs tornades ont frappé le sud des États-Unis, détruisant des dizaines de maisons et des infrastructures publiques. De nombreux foyers se sont retrouvés sans électricité ou trop précaires pour être occupés, et leurs habitants contraints de trouver des hébergements d’urgence. Deux semaines plus tôt, une violente tempête avait déjà entraîné la mort d’au moins sept personnes dans ce même État, ainsi que d’importants dégâts
Conséquence du réchauffement climatique et donc de l’activité humaine, ces catastrophes sont appelées à devenir de plus en plus fréquentes à l’avenir, rappelle régulièrement le GIEC dans ses rapports. Tempêtes, tornades, cyclones tropicaux, ou à l’inverse vagues de chaleur, sécheresse et incendies devraient continuer de bouleverser nos vies, notamment dans des pays du Sud jusque-là relativement épargnés.
Pour limiter la casse, de nombreuses recherches scientifiques et universitaires s’efforcent de comprendre comment limiter le réchauffement ou du moins ses effets les plus néfastes. Si certains principes généraux commencent à être bien connus – changer de modèle énergétique, réduire le niveau de consommation des pays riches… –, d’autres sont plus inattendus. Une récente étude économique révèle ainsi comment certaines banques résistent mieux que d’autres aux catastrophes climatiques.
C’est moins connu, mais des évènements extrêmes et inattendus déstabilisent aussi le système bancaire et financier, rappelle l’article en introduction. Plus des établissements ont prêté de l’argent à des personnes ou des entités – entreprises, administrations, États…– victimes de telles catastrophes, plus ils risquent de ne pas être remboursés. Et si un très grand nombre de débiteurs sont simultanément victimes d’une catastrophe que personne n’avait prévue, la situation peut même virer à la crise économique. Cette intuition, qui semble fondée, restait à vérifier sur un plan plus scientifique. C’est ce que propose de faire cette étude conduite par quatre auteurs, en s’intéressant au cas particulier des « prêts syndiqués inter-États » – lorsque plusieurs États s’associent pour emprunter davantage d’argent.
Les chercheurs ont comparé deux grands types de données : d’un côté, des indicateurs couramment utilisés pour évaluer les dégâts causés par des catastrophes climatiques – en fonction du nombre de morts, de biens détruits, des pertes d’argent induites… – dans différents États d’Amérique du Nord. Et d’un autre côté, des outils statistiques, classiques en économie, pour estimer le risque qu’une banque ne soit pas remboursée lorsqu’elle prête de l’argent. En toile de fond, l’idée est de créer un indice d’exposition au risque climatique, permettant de signaler les États les plus vulnérables, et de vérifier si les banques ont effectivement plus de mal à récupérer leurs prêts dans ces mêmes régions.
Sans entrer dans le détail des calculs, l’étude confirme clairement cette hypothèse : lorsque l’exposition au risque climatique augmente d’un écart-type (une unité de mesure statistiquement significative), tous les indicateurs passent au rouge pour les établissements créditeurs. Les économistes soulignent notamment une augmentation du « déficit marginal attendu » – la perte moyenne qu’une banque peut s’attendre à subir dans les pires scénarios – de 14,7 % à court terme et de 1,3 % à long terme. La perte maximale probable, que les économistes appellent la « valeur à risque », progresse de façon similaire, de même que la possibilité d’une déstabilisation du système financier dans son ensemble (« contribution au risque systémique »). Des différentes analyses chiffrées établies par les chercheurs, émerge une conclusion : c’est bien la corrélation statistique entre catastrophe climatique, emprunts non remboursés et déstabilisations de l’économie qui doit alerter.
Or l’étude identifie aussi des banques moins à risque que d’autres, que ce soit en raison de leur gestion au long cours ou de leur façon de réagir aux évènements. Dans l’urgence, lorsqu’une catastrophe frappe des emprunteurs, certains établissements diminuent leur activité de prêt et constituent en parallèle des réserves d’argent pour compenser les pertes à venir. Cette politique prévoyante paraît atténuer les effets néfastes et, par extension, préserver le système financier de perturbations – ce point reste à confirmer dans de futures études, nuancent les auteurs. Dans le même ordre d’idée, les banques les plus rentables en temps normal semblent bénéficier d’un matelas de sécurité en cas de crise, leur permettant de mieux absorber les conséquences de catastrophes climatiques en l’occurrence.
Plus généralement, poursuivent les auteurs, les banques ont intérêt à davantage intégrer des indices d’exposition au risque climatique dans leurs évaluations, afin de mieux guider leur politique de prêt. De même, souligne l’étude, « les banques centrales et les régulateurs financiers ont commencé à élaborer des scénarios de tests de résistance climatique, afin d’évaluer la vulnérabilité du système financier. » À l’avenir, tous les acteurs économiques gagneront à adopter une politique plus prudente, prévoyante, et davantage consciente des nouveaux risques induits par le réchauffement de la planète.
Thomas Conlon, Rong Ding, Xing Huan & Zhifang Zhang, Climate risk and financial stability: evidence from syndicated lending, The European Journal of Finance, avril 2024. https://doi.org/10.1080/1351847X.2024.2343111