La nouvelle génération de managers manifeste un désir de plus en plus fort de sens au travail et exhorte les organisations à faire preuve d’éthique dans les affaires. Face à ce constat, les entreprises créent des postes de « Chief Philosophy Officer ». Tout droit venu des start-ups américaines, ce phénomène est-il une simple mode ou une réelle tendance de fond ? Décryptage avec Nicolas Raineri, professeur adjoint en gestion des ressources humaines et comportement organisationnel et Hadrien Simon, enseignant spécialisé en philosophie et management à NEOMA Business School.
Aujourd’hui, de nombreuses entreprises s’intéressent à la philosophie. Cette discipline favoriserait la pensée critique et la logique, pour mieux saisir et gérer la complexité du business. « Le monde des affaires est en mutation permanente et les managers doivent trouver des repères stables pour guider leurs actions » analyse Hadrien Simon. « La philosophie, depuis ses origines, a cherché à identifier des composantes immuables dans cette multiplicité des phénomènes ».
La philosophie comme mécanisme d’aide à la décision
Mais c’est plutôt l’approche pratique de la philosophie qui séduit aujourd’hui les dirigeants d’entreprise, notamment celle portant sur la réflexion des questions éthiques. En prenant pour exemple des situations concrètes, la réflexion éthique offre aux managers les outils pour prendre des décisions en droite ligne avec leurs valeurs ou celles de l’entreprise. Face aux défis actuels, la philosophie pourrait donc être un levier pour résoudre des équations souvent complexes. « En mettant l’accent sur la pensée critique et le raisonnement dialectique, la philosophie peut aider les entreprises à prendre des décisions plus éclairées, notamment lorsqu’il s’agit de concilier performance économique et exigences sociales et environnementales » détaille Nicolas Raineri. « La philosophie peut également contribuer à favoriser l’innovation, en incitant les dirigeants à sortir du statut quo et à remettre en perspective l’existant ».

Après le chief happiness officer, le chief philosophy officer ?
Utilisée comme une méthode et non comme une connaissance abstraite, la philosophie représenterait une nouvelle solution quand les outils traditionnels ne fonctionnent plus. Mais si l’approche peut séduire, la mise en œuvre reste floue. Après le chief happiness officer, est-ce que le nouveau métier à la mode serait le chief philosophy officer ? Le phénomène émerge à peine et difficile de dire si cette tendance est faite pour durer tant les contours de ce nouveau poste restent opaques. « L’enjeu n’est pas simplement d’apporter la philosophie en entreprise car de nombreux conférenciers, coachs ou consultants se voient déjà confier cette mission. Avec ce nouveau poste, on internalise la compétence » observe Hadrien Simon. « Mais à quelle fonction de l’entreprise renvoie la philosophie ? La question reste entière… ». Alors on imagine souvent un philosophe parlant à l’oreille du dirigeant, organisant des discussions collectives sur des sujets de fond, exposant les managers à différentes réalités.
Une seule certitude à ce stade : quelle que soit son application, jamais la philosophie n’a eu autant sa place dans l’entreprise, et plus largement dans la formation de la nouvelle génération d’étudiants. « Sensibiliser les étudiants à la pensée philosophique et aux futures responsabilités qui seront les leurs en entreprise est un pari bien plus audacieux » conclut Nicolas Raineri. « La formation à la philosophie, axée sur la théorisation du réel et le raisonnement moral, pourrait ainsi devenir l’outil dont les organisations ont besoin pour développer un management plus efficace et éclairé ».