Ce qui se joue à l’arrivée dans une grande école : l’avis du psychiatre David Gourion
Publié le 7/11/2022
Ce qui se joue à l’arrivée dans une grande école : l’avis du psychiatre David Gourion
Publié le 7/11/2022
L’entrée dans les études supérieures est synonyme de grands bouleversements qu’ils soient sociologiques, culturels, psychiques et même biologiques. Le psychiatre David Gourion a publié de nombreux ouvrages sur les 15-30 ans. Il décortique pour nous ce qui se joue réellement à ce moment charnière.
En quoi l’arrivée dans une Grande école peut-elle être délicate pour les étudiants?
S’il y a de grandes différences selon les jeunes – Tout le monde ne part pas d’un pied d’égalité sur le plan de l’équilibre affectif, de la gestion du stress, de l’incertitude ou encore des troubles neurocomportementaux- , il existe des éléments communs à tout nouvel étudiant. Les neurosciences ont montré que la période entre 15 et 25 ans est un immense chantier pour notre cerveau, où s’opère ce qu’on appelle un élagage neuronal. Pour faire simple, vous perdez des neurones d’un côté, mais gagnez en efficacité dans vos raisonnements, à la manière d’un réseau de chemin de fer qui supprimerait une multitude de lignes secondaires pour optimiser les autres et y faire rouler des TGV.
Cette fenêtre de déstabilisation biologique coïncide avec des facteurs sociologiques et culturels, eux aussi, très puissants. Internet et les réseaux sociaux apportent de nouvelles difficultés. Nous sommes passés de valeurs intrinsèques (appartenance à une communauté ou à des idéaux qui nous servaient de repères) à des valeurs extrinsèques: ce que l’on possède, ce qu’on montre aux autres…
Par ailleurs, être bon à l’école ne suffit plus. Les compétences exigées dépassent cet aspect: l’art de faire du réseau, l’agilité sociale et les soft skills comptent autant que notre savoir ou notre intelligence scolaire. Ainsi, alors même qu’ils devraient se sentir invincibles et se lancer à la conquête du monde, beaucoup de jeunes de 20 ans sont plutôt traversés par des angoisses.
Quel peut-être le rôle des professeurs ?
Il y a autant de réponses possibles que de professeurs. Certains détecteront tout de suite cette étudiante dont le comportement a changé depuis une semaine. Ils prendront naturellement le temps de parler avec elle, avec l’équipe pédagogique, voire ses parents s’ils sentent poindre un danger. Ils sauront identifier ce qui peut devenir un trouble psychique.
D’autres ne le remarquent pas forcément ou ils ont peur de mal faire, ou encore, par conservatisme, ils estiment que ce n’est pas leur rôle de veiller à la santé mentale de leurs élèves. Entre ces deux profils existent toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
Ce qui est certain, c’est que la dimension psychologique est inséparable de la santé physique ou de la performance intellectuelle. Elle doit mobiliser l’ensemble des équipes pédagogiques. Chacun restera dans son métier, mais les rôles se chevauchent de fait et chaque personne en lien avec les élèves devrait savoir observer, écouter et échanger avec eux.
Vous avez effectué des recherches au Canada. Quels enseignements en avez-vous tiré ?
Au Canada, j’ai été frappé par la différence d’approche avec l’école telle que nous la connaissons en France. Elle consacre une grande place au développement affectif des enfants, quand nous centrons nos efforts sur la performance, ce même à un très jeune âge.
Je ne me permets pas de dire qu’un système vaut mieux que l’autre, mais cela soulève une question essentielle: le rôle de l’école est-il d’enseigner ou de transmettre? Dans ce dernier verbe, on peut faire entrer beaucoup de choses.
Dans les grandes écoles, que je connais bien [David Gourion a été le psychiatre du campus d’HEC Paris, NDLR], un professeur qui boit un café avec des étudiants en dehors des cours transmet des choses qu’il n’enseigne pas (son vécu, ses expériences ou réflexions personnelles). Elles ne sont pas académiques et pourtant susceptibles de les marquer pour longtemps, davantage encore que certains cours.
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